MON ENFANCE ET MA JEUNESSE
Mes parents formaient un couple uni, indestructible. Ils étaient de très modestes paysans souvent poursuivis par la maladie.
Au cours de leur carrière ils durent meubler, c’est-à-dire reprendre un nouveau départ à trois reprises différentes.
Première installation en se mariant sur 13 hectares dans l'Orne.
Deuxième départ au même endroit, après la razzia consécutive à l’invasion des Allemands, pendant laquelle tout le cheptel disparaît.
Troisième installation lorsqu’ils durent quitter la PIGAUDIERE à la suite de la donation-partage des grands parents. Ils reprennent la ferme des PERRETTES antérieurement affermée, et appartenant à grand’mère maternelle. C’était des terres vallonnées, épuisées, une ruine. Mais, nous les enfants n’avons jamais eu faim malgré tout. Jamais privé d’affection, les enfants comptaient beaucoup plus que le reste.
A Fresnes où nous allions à l’école primaire. En petite classe on m’avait attribué le prix de jovialité. Un peu plus tard (plus ou moins 8 ans) je devais chahuter ou parler un peu trop en classe, le directeur, Monsieur LEGORGEU me punissait. Il confisquait mes sabots de bois et m’envoyait en haut, dans l’appartement familial, au piquet…Le sport consistait à « faire poudrette », c’est-à-dire prendre la poudre d’escampette. C’était simple si les sabots n’étaient pas confisqués. J’osais les demander à la grand-mère qui me les donnait et je partais. Le lendemain le père LEGORGEU (prononcer legorju) qui avait passé sa soirée au bistro de la place ne s’en souvenait plus.
L’ECOLE BUISSONNIERE ;
J’ai fait l’école buissonnière par deux fois et les deux fois, je me suis fais prendre par mon papa ! Punissions : la première fois avec le fouet. Il revenait avec son attelage de faucher du foin. Le fouet sur des mollets nus, ça laisse de la mémoire ! La seconde fois, des gifles en veux tu en voilà. Maman ne disait rien et avait la larme à l’œil. J’étais la désolation, le chien noir de la couvée.
L’année suivante, nous étions Louis et moi en pension au SACRE CŒUR de DOMFRONT. Pour m’aider à me remettre dans le bon chemin, ma mère me parlait souvent de l’Oncle AUGUSTE, missionnaire au Congo en AFRIQUE, et quand il venait en congé, il me prenait à part pour bavarder et voir où j’en étais dans mes connaissances scolaires. Il disait à qui voulait bien l’entendre « - Michel sera capable du meilleur comme du pire ».
Nous ne manquions pas les conférences qu’il donnait dans les paroisses des environs, pour récolter de l’argent qu’il utiliserait là-bas dans sa mission… Elles s’illustraient de diapositives sur grand écran. Il était passionné, animé par la FOI.
Au Sacré Cœur, Louis devait avoir 11 ans et moi 9. J’avais une très bonne maîtresse et j’ai commencé à être bon élève.
Nous étions en période d’après guerre, et les privations, les tickets de rationnements sévissaient. Nous n’avions droit qu’à une demi-tranche de pain pour chaque repas composés surtout de pommes de terre et de choux. Maman nous envoyait des miches de pain qu’elle faisait elle-même ainsi que d’autres provisions : beurre, confiture. Beaucoup d’autres, ils étaient nombreux n’avaient rien de leurs parents. Je me rappelle que certains avaient des engelures et la roupie au nez.
Louis n’aimait pas les choux et reçut un sobriquet : « PAS DE CHOU » ! Et, comme j’étais le petit frère, j’ai eu droit à « PAS DE CHOU 2 » !
Nous avions droit aux promenades le dimanche et le jeudi. Les grands élèves n’y allaient pas avec le dos de la cuillère. Ils organisaient des combats de boxe à main nues, à moins que ce ne fut des règlements de compte. Une fois l’un des combattants était le surveillant en personne. J’ai vu les nez cassés et le sang couler. Pour un gamin c’était terrifiant. Le dégoût de ce sport m’a poursuivi toute ma vie. « Je ne vois vraiment pas le plaisir de se battre » J’ai moi-même joué du poing avec mon meilleur copain. Je l’ai toujours regretté.
L’ECOLE SAINT JOSEPH à TINCHEBRAY
Comme maîtresse, j’ai eu Madame BLANCHET qu’on appelait « piclette » parce qu’elle criait toujours. Mille volts, elle nous faisait travailler.
L’année suivante, on « montait » dans la première année de la grande classe de Monsieur HUBERT qu’on appelait « le père Hubert ». Cette première année, nous ne faisions RIEN. Il ne s’occupait pas de nous. Il suffisait de ne pas chahuter, ni faire de bruit. Il était tout entier à faire entrer par tous les moyens les matières nécessaires à ceux de la seconde année pour arriver au CERTIFICAT et avoir une chance de le décrocher pour ceux qu‘il acceptait de présenter… ça devenait « sérieux » donc. A tour de rôle, il appelait ceux dont il avait décidé de s‘occuper : ganache, triple buse, triple brut en nous tirant les cheveux courts de la tempe là où ça fait mal.
Louis était toujours très studieux, levé tôt pour apprendre à haute voix par cœur ses leçons. Ensuite il préparait le petit déjeuner pour tous les deux. Et, voyant que je ne me levais pas, il m‘appelait « Michel, viens-tu ?, sacré petit salaud, vas-tu venir à la fin ». Enfin, je me levais, avalais mon « chocolat » (en fait c‘était du lait sucré avec du pain trempé)
Nous avions 3 kilomètres à faire à pieds, matin et soir. Le midi, nous mangions à la pension des filles à côté avec les bonnes sœurs.
Pour les leçons, je ne les apprenais jamais… et je les savais toujours. Je les récitais en les lisant à l‘envers sur le livre que le père Hubert tenait devant lui à son bureau. Un autre copain faisait de même.
Le père Hubert fumait comme un pompier. Il avait son cendrier plein de mégots Je piquais quelques mégots (le plus possible peut-être) et je prisais les restes de tabac.
J’avais tant l’envie de goûter à ce qui était défendu… Je faisais des frondes avec des bouts de gros fils de fer plus ou moins aciérés que je vendais 20 centimes. J’en vendais 2 pour m’acheter un paquet de cigarettes de la marque « élégante » que je fumais en cachette.
Le samedi, l’école se terminait à 16h. Louis rentrait directement à la maison. Pendant ce temps je traînais avec des copains. Nous possédions chacun notre fronde. C’est à qui ferait éclater le premier un isolateur électrique sur les poteaux encore sans fils. Et, on passait au suivant. Il ne restait pas beaucoup d’isolateurs valides quand les électriciens ont voulu attacher les fils. Pour réussir nos exploits, nous utilisions des morceaux de ferraille ronds obtenus par les emporte-pièces de l’usine MERMIER qu’on trouvait à la décharge. On les appelait «des plombs ». J’en avais plein les poches.
A d’autres périodes, aux beaux jours, on allait le long des ruisseaux pêcher à la main des truites et écrevisses. On appelait les ruisseaux : rivières. Toute notre région était truffée de ces ruisseaux d’eau vive. Les truites y venaient frayer. Certaines adultes restaient dans les virages là où il y avait plus de hauteur d’eau.
Bien entendu, nos forfaits sur les isolateurs ne devaient pas rester impunis. Il y eut plaintes et punitions avec dédommagements pour certains parents.
L’entreprise d’électricité avec son équipe faisait une ligne passant dans les champs de la ferme. Le responsable avait demandé à mon père s’il accepterait de faire un repas du midi pour ses gars. Mon père spontanément répond OUI. Papa et maman offraient à manger sans se douter de ce que leur garnement avait fait. C’est un peu plus tard qu’ils se rendirent compte que mes autres camarades avaient été la honte de leurs parents et qu’eux avaient été épargnés.
Autre anecdote : L’hiver papa faisait de la farine d’orge, de l’avoine ou du blé avec son moulin pour donner aux animaux à l’étable. Tandis que je passais de longs moments avec ma fronde dans le grenier pour tirer sur les oiseaux. Des « plombs » d’acier étaient abandonnés à leur sort parmi le grain…Un jour papa entend un bruit insolite dans son moulin et le rendement baissait … et pour cause. Son gamin était passé par là. « Sacré petit con, va-t-y cor en inventer ? »
C’est dans cette heureuse ambiance que j’obtins mon certificat d’études la jambe plâtrée. En sautant à la corde lors d’une séance d’entraînement pour le BREVET SPORTIF, je m’étais cassé le péroné.
En fin de compte, je déclarais après mon certificat, vouloir devenir missionnaire comme mon oncle. Grâce à cela, j’ai étudié jusqu’en Première. J’avais aussi eu la chance d’aller en colonies de vacances et à des camps scouts avec la troupe de CHANU….
Avant de parler de la période du séminaire, quelques anecdotes :
Gamins, papa nous montrait comment tirer au fusil sur un écureuil un lapin ou un geai. Comment attacher les petits geais dans leur nid et les laisser grossir nourris par les parents et plus tard venir les cueillir bons à manger.
Avec ma fronde, j’arrivais de temps en temps à toucher un merle dans la haie. Maman me le faisait cuire pour ma gamelle du lendemain.
J’avais 9 ou 10 ans, je me trouvais en vacances chez ma tante Madeleine aux BISSONS. Avec mes cousines, on se promenait dans un pré le long d’une petite rivière. Je m’amuse à patauger le long de la berge du ruisseau à plat ventre. Quand je sens dans ma main quelque chose ? Une truite, je connaissais déjà un peu. J’avance doucement sous le ventre de l’animal et je pince les ouïes entre le pouce et l’indexe. J’avais attrapé seul, instinctivement ma première truite. Et de belle taille. Plus tard ce sera notre distraction préféré, surtout pour LOUIS, mon grand frère.
Maman était toujours heureuse de nous voir arriver avec une prise : un geai, une truite, des écrevisses. Peu importe qu’on soit sales ou un peu déchirés. Elle nous faisait toujours de bons plats avec nos prises.
Je me trouvais en colonie de vacances à TINCHEBRAY. Le but de la promenade en camion était Saint JEAN DES BOIS. Nous passons la journée au bord de l’eau. Il y avait de grosses pierres. Dessous j’attrapais à la vue de tous : truites et écrevisses. Les moniteurs en avaient fait une chanson.
A La PIGAUDIERE papa nous avait habitués à sortir les truites dans des flaques d’eau. Il détournait le cours du ruisseau sur une certaine longueur. Il suffisait d’attendre que le courant s’arrête et ramasser de bonnes fritures. Quels bons moments pour des gamins !
Au moment du débarquement des alliés alors que nous avions évacué la ferme de la PIGAUDIERE et que nous étions réfugiés chez la grand-mère DUMESNIL aux Hues à CHANU, papa nous emmena revoir la ferme. Il y avait un trou de bombe juste derrière la maison et criblée d’éclats, toutes vitres brisées.
Une autre bombe était tombée dans le pré juste sur le ruisseau. Un beau cratère plein d’eau évidemment. Par la suite, en détournant le courant et en vidant le trou avec une pompe à cidre nous faisions des pèches miraculeuses. Des truites énormes.
Pas étonnant que nous ayons cherché des brochets dans les LANDES. En Juillet les canaux cessaient petit à petit de courir. C’est alors qu’avec Jean MI, et les jumeaux, nous trouvions des brochets prisonniers. Dans un trou au virage du canal venant de la ligne de chemin de fer au bout du pare-feu Millet, nous avions pêché des anguilles en grande quantité. Plein une lessiveuse. Christiane en avait raz le bol de dépouiller les bestioles.
Pas étonnant qu’on voie Jean Michel à 11 ans 2 faisans à la main.
A 10 ans, je conduisais la PRIMA4 à travers les pommiers avec papa ou maman, tout comme LOUIS et Simone. Ça ne m’a pas empêché d’avoir un accident le jour de la première sortie de notre 4CV Renault muni de mon permis.
La ferme de la Pigaudière se situe dans une région accidentée, sur la crête d’un vallon. Dans les journées cruciales du débarquement du 6 Juin 44, à la tombée de la nuit papa nous fait voir les lueurs des combats à l’horizon. Les zones du débarquement des plages de la Manche (Arromanche peut-être) se situaient à environ 40 ou 50 kilomètres. Une barre très lumineuse en mouvement constant se dessinait, là-bas tout au loin. Il expliquait qu’il y avait beaucoup de morts pour faire partir les Boches.
Dans ces jours terribles où la maman de CHRISTIANE trouvait la mort, nous étions réfugiés à CHANU chez la grand-mère, une nuit les alliés lâchèrent des torrents de bombes pour repousser l’infanterie allemande. 11morts dont le curé de CHANU. J’ai dormi comme un loir, je n’avais rien entendu.
Juste avant l’arrivée des envahisseurs, mon père avait été chargé de mettre les objets sacrés et décors du culte de la paroisse à l’abri. C’est l’écurie qui fut choisie. Les chevaux allemands ont occupé ce local toute la durée de la guerre sans problème. Papa avait fait également une tranchée ; un refuge sous sol ; un couloir avec un angle à l’équerre pour avoir deux zones de protection selon d’où pouvait venir le danger.
Avant la guerre, mes parents s’étaient offert une auto, une RENAULT PRIMA 4. C’est maman seule qui conduisait. Papa n’avait pas pu passer son permis ? Il était déjà malade de la tuberculose. Lors de l’arrivée des « boches », la voiture sans ses roues, dormait dans son garage tandis que les pneux étaient cachés sous une grosse réserve de fagots de bois chez un voisin. Elle fut remise en marche rapidement après la libération. Maman fit de nombreux voyages pour aller conduire et rendre visite à papa à la clinique de CHATEAUBRIANT. Là on lui scia les côtes de son thorax gauche à 3 reprises pour comprimer la cavité faite par le bacille. Il revint vivant tandis que 2 compagnes de FRESNES parties en même temps que lui en moururent.
Il avait attrapé cette sale maladie avant la guerre par le travail et je crois un coup de pied de cheval.
Ce fut pour notre mère une époque éprouvante. Courageuse et gaillarde, elle n’en gardait pas moins son fusil près de son lit pour dormir. Je me souviens d’une photo de nous trois pimpants pour la porter au papa et lui mettre sur sa table de nuit pour lui donner courage.
A son tour notre maman fut atteinte d’une pleurésie. Deux malades. Chaque jour notre tante Elise venait faire ce qu’elle pouvait pour aider. Elle avait à son vélo un porte bagage avant et un à l’arrière pour porter les deux plus jeunes, mon frère et moi pour aller coucher chez elle à CHANU où elle avait, en plus, quelques vaches à traire matin et soir…
Né en décembre 37, vu la santé de mon père j’eu droit à une mère nourrice. Les épreuves ne manquaient pas à la maison, sans compter, le manque d’argent à telle point que certains jours maman n’avait pas de quoi acheter le pain.
En dehors de ces moments, maman nous apprenait à chanter. Nous étions heureux malgré tout par l’amour qui nous unissait.____________